Potager du restaurant Entre Vigne et Garrigue
L’héritage en cuisine
Par Laurence Gounel
Sur deux ou plusieurs générations, certaines maisons écrivent leur histoire en famille, dans la continuité et le respect d’un certain ADN. Ce qui n’empêche pas de rester tourné vers l’avenir… La preuve par quatre.
Philippe et Sandrine Arrambide, quatrième génération
L’HÔTEL DES PYRÉNÉES, À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT
Arrivé il y a 19 ans dans cette institution qui fête ses 80 ans cette année, Philippe Arrambide pose un regard assez détaché sur cet enchaînement de transmissions : « J’ai grandi ici, au milieu de la cuisine et au Pays basque, c’est courant de travailler en famille. Comme mon père a naturellement pris la succession de mon grand-père, c’était naturel pour moi de le faire aussi. Il fut même une période où mon grand-père venait encore donner un coup de main le dimanche et moi aussi alors que j’étais étudiant. Nous étions trois générations dans la même cuisine. »

Famille Arrambide, quatrième générations de l'Hôtel Des Pyrénées
Une transmission qui, à ses yeux, s’est faite sur la longueur et dans la douceur, comme il le dit, son père et lui ayant des caractères « faciles ». Il reconnaît avoir apporté sa propre vision de la cuisine : plus contemporaine, plus ancrée dans la saisonnalité, avec une carte largement réduite et privilégiant le bio et les circuits courts. Ce qu’il a conservé ? Le lièvre à la royale, une recette transmise depuis quatre générations. Son conseil ? Savoir être patient. Évoluer, à condition d’avoir observé en amont.
Robert Lalleman, troisième génération d’hôtelier-restaurateur
L’AUBERGE DE NOVES, DEPUIS 1954
Gourmand et déjà à observer en cuisine pendant les vacances scolaires alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années, Robert Lalleman avoue qu’il était un peu prédestiné à emboîter le pas de ses deux grand-mères excellentes cuisinières. Derrière l’école hôtelière et après avoir fait son apprentissage dans différentes maisons, il rejoint ses parents qui lui demandent de venir tenir les cuisines tandis qu’ils gèrent la partie hôtelière.

Robert Lalleman, chef propriétaire de l'Auberge de Noves

© Façade de l'Auberge de Noves
Après deux faux départs, Robert Lalleman reprend l’Auberge de Noves, restaurant et hôtel depuis 1954. « Même si je suis maintenant seul à diriger l’Auberge de Noves, j’ai à cœur de conserver l’ADN de cette maison : recevoir les voyageurs comme s’ils étaient chez eux. » Concrètement, le chef leur propose la carte lors de leurs deux premières visites et ensuite improvise jusqu’à leur demander ce qu’ils aimeraient manger. « Cela revient à recevoir comme dans une maison de famille. » Ce qu’il a modifié ? Il a « démocratisé » l’auberge et changé l’image de restaurant inacessible qui existait. Résultat : le retour de voyageurs locaux pour le plus grand plaisir du chef.
Serge et Maxime Chenet, de père en fils
PRÈS D’AVIGNON : ENTRE VIGNE ET GARRIGUE
Quand l’un de ses fils lui annonce à 8-10 ans qu’il veut être chef lui aussi, Serge Chenet est sceptique. Après l’avoir envoyé faire son apprentissage ailleurs, Maxime revient à 24 ans et trouve très vite sa place. De cette cuisine à quatre mains, Serge Chenet retient que tout en transmettant son savoir-faire, il continue lui aussi à grandir. « Il m’a apporté d’autres méthodes, des techniques et puis nous avons gagné en rapidité. Nous réfléchissons ensemble. Il y a une osmose qui s’est créée, un langage invisible qui s’est installé. Nous sommes très complémentaires. »

Serge Chenet et Maxime, son fils, chefs d'Entre Vigne et Garrigue © Guilhem Canal
Au point que les voyageurs sont touchés par cette continuité, cette complicité évidente et ce même engagement à 200 %. « C’est sa maison autant que la mienne aujourd’hui », même si le père veille à transmettre aussi le fruit de ses réflexions sur son propre parcours : savoir faire la part des choses, préserver un minimum la vie de famille. « Se faire plaisir aussi, ce qui n’empêche pas de se remettre en question et de faire preuve d’une grande force de travail », conclut celui qui a profité de lâcher un peu les rênes pour se mettre à la peinture.
La famille Arnault, beau-père et gendre en cuisine, mère et fille en salle
EN FAMILLE À LA CHAUMIÈRE
Rien d’imposé mais une certaine fierté à voir leurs filles rejoindre le métier, si l’on écoute Philippe Arnault… « Avec le recul, on se dit qu’on a dû véhiculer un message positif », dit-il après que la cadette se soit décidée, elle aussi, pour ce métier alors que l’aînée les a déjà rejoints, avec son époux, il y a cinq ans. Après les avoir encouragés à expérimenter d’autres maisons, Fabienne et Philippe ont commencé avec Cécile et Sébastien par faire un état des lieux de la maison à la lueur des nouveaux regards.

Philippe Arnault, chef propriétaire de La Chaumière

La famille Arnault, propriétaire de La Chaumière
Le constat ? Pas besoin de révolutionner mais un nouveau partage des tâches pour que chacun s’y retrouve. Une nouvelle stabilité à quatre leur permet même d’envisager de nouveaux projets. « C’est le mariage de la fougue et de la sagesse. Chacun a trouvé sa place. » Et si aujourd’hui, Cécile a développé les réseaux sociaux, si Sébastien gère en partie la carte, cela a permis à Philippe de se concentrer sur les ressources humaines et d’envisager « ensemble » un projet d’extension hôtelière. « C’est stimulant de travailler sur l’avenir, cela donne du sens au présent. Plutôt que de gérer une fin de carrière, nous gérons le départ d’une autre », résume bien Philippe Arnault.